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BONHEUR

- DEUX CONCEPTIONS OPPOSEES DU BONHEUR DANS L’ANTIQUITE

Les philosophes grecs se fixaient pour tâche d’élaborer une sagesse permettant d’accéder au bonheur. Mais un désaccord profond existait alors entre les partisans de deux conceptions très différentes du bonheur : les approches hédoniste et eudémoniste. Les philosophes hédonistes posent le plaisir comme bien suprême. Pour eux, le but de la vie consiste à éprouver la quantité maximale de plaisir, et le bonheur est la somme des moments hédonistes d’une personne. De grands noms de la philosophie grecque, en particulier Aristote, Platon et Socrate, se sont vigoureusement opposés aux hédonistes, en prônant un idéal « eudémoniste » de l’existence.

Platon et Aristote (par Raphaël)

Le principal représentant de ce courant est Aristote, pour qui « le bonheur est l’activité de l’âme dirigée par la vertu » (1). Le bonheur implique donc « une vertu parfaite et une existence accomplie ». Aristote ne rejette pas pour autant le plaisir, mais considère, contrairement aux hédonistes, que celui-ci n’est pas le bien en soi, mais plutôt une conséquence du bien. Divers philosophes contemporains se réclament de cette vision du bonheur, qui est assez proche du concept actuel de sens de la vie. C’est notamment le cas de Paul Ricœur qui qualifie de visée éthique « la visée de la "vie bonne" avec et pour autrui dans des institutions justes » (2). Par ailleurs, que nous dit la Bible sur le bonheur ? (3) Le mot n’existe pas en hébreu biblique et est rare dans le grec biblique. La Bible préfère parler de « vie » ou de « joie ». Dans le Nouveau Testament, l’adjectif grec makarios est présent à plusieurs reprises en particulier dans les Béatitudes des Evangiles : « Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice : ils seront rassasiés (…) Heureux ceux qui font œuvre de paix : ils seront appelés fils de Dieu… ». La Bible ne donne donc pas de conseil pour découvrir le bonheur, mais décrit plutôt une situation déjà existante, résultat d’une conduite conforme à la justice.

- BONHEUR = SENS DE LA VIE + BIEN-ETRE

Les recherches psychologiques actuelles, sur la base d’enquêtes réalisées auprès de larges populations, éclairent fortement les débats de la philosophie antique en montrant que le bien-être et le sens de la vie constituent deux facettes à la fois proches et différentes de l’expérience humaine. En effet,
-  certains aspects de la vie relèvent essentiellement du sens de la vie et peu du bien-être ; ce sont les valeurs et croyances, les projets de vie, l’engagement dans l’action ;
-  d’autres à l’inverse relèvent essentiellement du bien-être et peu du sens de la vie ; ce sont les émotions positives, les loisirs ;
-  d’autres enfin relèvent à la fois du sens de la vie et du bien-être ; ce sont les relations interpersonnelles ;

Plutôt que d’assimiler bien-être et bonheur comme le font les philosophes hédonistes, en évacuant toute référence au sens de la vie, il semble plus pertinent de considérer que le bonheur résulte de la présence conjointe du bien-être (facette émotionnelle à court terme) et du sens (facette cognitive à long terme) (4).

© Jacques Lecomte

- SE SENTIR PORTE PAR LE FLUX

Une approche particulièrement originale du bonheur est celle adoptée par Mihalyi Csikszentmihalyi, professeur émérite de psychologie à l’université de Claremont en Californie (5). Il a mené un vaste programme de recherches sur le flux (flow) ou expérience optimale, termes qui désignent l’état dans lequel se trouve un individu fortement engagé dans une activité pour elle-même. Pourquoi avoir choisi ce mot ? Tout simplement parce que plusieurs des nombreux sujets qu’il a interviewés lui ont répondu qu’ils se sentaient alors comme portés par un flux. Par exemple, un compositeur, interrogé sur la façon dont il se sentait lorsqu’il écrivait avec aisance de la musique, a répondu : « On est dans un état extatique à un tel point qu’on sent comme si on n’existe presque plus. J’ai éprouvé cela à diverses reprises. Mes mains semblent détachées de moi-même, et je n’ai pas à intervenir dans ce qui est en train de se passer. Je suis simplement assis à observer, dans un état d’émerveillement. Et la musique jaillit d’elle-même, comme un flux. ».

Les recherches réalisées sur le flux auprès de milliers de personnes à travers le monde ont montré que l’expérience optimale est décrite de la même façon à l’occasion d’activités très différentes, par les femmes et les hommes, les jeunes et les moins jeunes, les gens de différentes conditions sociales et de différentes cultures. Les sensations éprouvées par un nageur qui traverse la Manche sont à peu près identiques à l’expérience intérieure d’un joueur d’échecs en plein tournoi ou d’un alpiniste qui gravit la montagne ou encore d’un musicien qui compose une œuvre.

Voici quelques caractéristiques de l’expérience optimale notées par Csikszentmihalyi :
- l’expérience optimale se produit généralement quand la personne s’engage dans une activité qui constitue un certain défi en raison de la difficulté à la réaliser. Cela stimule l’individu et l’incite à se dépasser.
- l’individu est très concentré sur ce qu’il fait car l’expérience est enrichissante en elle-même. Il n’est pas distrait par d’autres choses.
- la préoccupation de soi disparaît, mais, paradoxalement, le sens du soi se trouve renforcé à la suite de l’expérience optimale. Par exemple, quand un alpiniste fait une ascension difficile, il est totalement absorbé par cette action, mais est ensuite très satisfait de ce qu’il a réussi.
- la perception de la durée est altérée ; l’individu ne voit pas le temps passer.

(1) Aristote (1965), Ethique de Nicomaque, Paris, Garnier-Flammarion, p. 31. (2) Ricœur P. (1990), Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, 1990, p. 202. (3) Briend J. (1996). Le bonheur dans la Bible, in H.-J. Gagey (dir.) Le bonheur, deuxième cycle de théologie biblique et systématique, Paris, Beauchesne, p. 53-90. (4) Lecomte J. (2007), Donner un sens à sa vie, Paris, Odile Jacob. (5) Csikszentmihalyi M. (2004). Vivre, la psychologie du bonheur, Paris, Robert Laffont. Csikszentmihalyi M. (2005). Mieux vivre en maîtrisant votre énergie psychique, Paris, Robert Laffont.

Par Jacques Lecomte

Crédits photos : Brebca © Fotolia (bébé) ; Nicolas Crocheton © Fotolia (alpiniste)

Vous trouverez une description plus détaillée de ce thème dans le chapitre 9 du livre de Jacques Lecomte, Donner un sens à sa vie, Paris, Odile Jacob, 2007.

Ce document peut être repris, partiellement ou intégralement, à condition d’en indiquer la source :
© Jacques Lecomte - http://www.psychologie-positive.net